• Jacques Salomé

    Jacques Salomé

     

     

    Les contes ont ce pouvoir de toucher en nous simultanément plusieurs registres, de réactiver notre inconscient, de stimuler la mémoire de nos oublis, de susciter un autre regard, une autre écoute, d'être porteurs d'énergie créatrice.

     

    Jacques Salomé

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     Il était une fois une femme qui, après avoir traversé toute une vie de femme, habitée par différents amours, puis par une relation essentielle avec un homme qui fut son mari, après avoir porté et élevé des enfants et exercé une profession passionnante, se retrouva au bord de l’existence, devant l’immense vide de sa solitude, celle de sa rencontre manquée avec elle-même.
     
    Comment est-ce possible ? Comment se retrouver ainsi en solitude au mitan de sa vie, vide de projets, dévitalisée d’avoir trop donné, dépossédée de tous ses rêves car ils avaient été déposés en vain et à fonds perdus chez ceux qu’elle avait tant aimés ?
     
    Comment continuer le chemin en se sentant habitée par une immense fatigue d’être, une profonde lassitude à simplement se réveiller le matin, à ouvrir les yeux, à respirer, se laver, s’habiller, affronter le regard aveugle de tant d’inconnus ? Comment avoir l’énergie d’esquisser des gestes qui n’ont plus de sens, de commencer quelques phrases avortées en imaginant tout de suite que demain est déjà périmé ?
     
    Cela est plus fréquent qu’on ne peut l’imaginer dans le monde des femmes et des hommes d’aujourd’hui.
     
    Au début elle manqua de vaciller devant la béance du désert de sa vie, la violence de la solitude, le vide de l’incompréhension qu’elle sentait tout autour d’elle.
     
    Souvent par la suite elle désespéra, quand des pensées malignes infectaient son corps, quand des douleurs tenaillaient son dos, déchiraient son ventre, harcelaient son cœur, quand son mal-être était si fort qu’elle imaginait ne pouvoir tenir debout, qu’elle aspirait à se coucher et mourir de lassitude et de désespoir de vivre.
     


    Elle ne savait pas encore que sa vie n’attendait que ce moment pour se rappeler à elle. Une émotion, qui contenait tout un monde à elle seule, s’éveilla, remonta, chemina par des chemins secrets de sa sensibilité, jusqu’à sa conscience, vint éclore dans ses pensées pour devenir lueur, lumière, soleil avant de se transformer en énergie vivifiante.
     
    Un matin, une petite phrase scintilla dans sa tête, dansa sous ses paupières, fredonna à ses oreilles :

    « Prends soin de ta vie, prends soin de ta vie, prends soin de ta vie… »
     
    Mais d’autres voix, celles des vieux démons, des habitudes anciennes, vexées de se voir délogées par un courant de vie nouveau, tentèrent de prendre le dessus, de recouvrir la petite phrase par leur propre rengaine.

     

     

    La femme en marche ..


     
    - Fais attention, en osant t’aventure sur le chemin de tes désirs, en voulant te découvrir toute seule, tu prends le risque de te perdre, de révéler des aspects de toi inacceptables.
     
    - Tes désirs sont trompeurs.
     
    - Tu crois avoir tout, tu n’as rien, tu n’es rien, tu n’as pas été capable de retenir ton mari, de garder tes enfants près de toi, de maintenir ton statut de femme aimée…
     
    - Tu es en transformation, chantait la petite voix du début.
     
    - Tu es affabulation, répétaient les voix d’une ancienne vie.
     
    - Je peux m’aimer et me respecter.
     
    - Pas du tout, tu as besoin d’être aimée, tu ne dois donner ton amour que si tu es aimée en retour !
     
    - Je sens que je peux m’aimer et aimer sans avoir nécessairement un retour… pour le plaisir d’être.
     
    - Non, ton cœur n’est pas suffisamment ouvert pour aimer, simplement aimer. Réfléchis bien, tu sais combien ton égo ne supporte pas de vivre le seul bien-être, le plaisir partagé. Il te faut ses sentiments, des serments, du solide, du durable à toute épreuve…
     
    - Je ne suis ni dans le manque, ni dans le besoin, je suis dans le plein !
     
    - Tu te montes la tête et bientôt tu regretteras, tu verras.
     
    - Je suis musique, je recherche et je trouve mes accords.
     
    - Tout est dérisoire, temps perdu, illusions trompeuses. Ne recommence pas à espérer ce que tu n’atteindras jamais.
     
    – J’existe, j’existe enfin pour moi.
     
    - Non, tu survis, tu végètes. Accepte ton sort sans révolte, sans rêve inutile, tu es sur la pente descendante de ta vie, reste tranquille ! Tout est joué, tu as perdu, tu mérites le repos.
     
    - Je me rencontre… J’ai lâché le superflu.
     
    - Tu vas manquer de l’essentiel : la sécurité !
     
    - Face à l’impuissance, j’apprivoise des forces secrètes, face à l’urgence je fais confiance à mes états intérieurs, face au chaos j’écoute ma propre voix. Je suis sur ce chemin là.
     

    La femme en marche ..


    Étonnée, elle n’entendit plus les autres voix, alors elle décida de s’écouter.

    A partir de ce jour-là, elle ne fut plus seule.

    Le dialogue qui l’accompagna l’ouvrit à de multiples rencontres. 


     
    Contes à S’aimer


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  • Il était une fois, une seule fois, dans un des pays de notre monde, un homme que tous appelaient le Magicien des Peurs.

     

     

    Le magicien des peurs


     
    Ce qu’il faut savoir, avant d’en dire plus, c’est que toutes les femmes, tous les hommes et tous les enfants de ce pays étaient habités par des peurs innombrables.
     
    Peurs très anciennes, venues du fond de l’humanité, quand les hommes ne connaissaient pas encore le rire, l’abandon, la confiance et l’amour.
     
    Peurs plus récentes, issues de l’enfance de chacun, quand l’incompréhensible de la réalité se heurte à l’innocence d’un regard à l’étonnement d’une parole, à l’émerveillement d’un geste ou à l’épuisement d’un sourire.
     
    Ce qui est sûr, c’est que chacun, dès qu’il entendait parler du Magicien des Peurs, n’hésitait pas à entreprendre un long voyage pour le rencontrer. Espérant ainsi pouvoir faire disparaître, supprimer les peurs qu’il ou elle portait dans son corps, dans sa tête.
     
    Nul ne savait comment se déroulait la rencontre. Il y avait chez ceux qui revenaient du voyage, beaucoup de pudeur à partager ce qu’ils avaient vécu. Ce qui est certain, c’est que le voyage du retour était toujours plus long que celui de l’aller.
     
    Un jour, un enfant révéla le secret du Magicien des Peurs. Mais ce qu’il en dit parut si simple, si incroyablement simple, que personne ne le crut.
     
    « Il est venu vers moi, raconta-t-il, m’a pris les deux mains dans les siennes et m’a chuchoté :
     
    - Derrière chaque peur, il y a un désir. Il y a toujours un désir sous chaque peur, aussi petite ou aussi terrifiante soit-elle ! Il y a toujours un désir, sache-le ».
     
    « Il avait sa bouche tout près de mon oreille et il sentait le pain d’épices » confirma l’enfant.
     
    Il m’a dit aussi :

    – Nous passons notre vie à cacher nos désirs, c’est pour cela qu’il y a tant de peurs dans le monde. Mon travail, et mon seul secret, c’est de permettre à chacun d’oser retrouver, d’oser entendre et d’oser respecter le désir qu’il y a sous chacune de ses peurs ».
     
    L’enfant, en racontant tout cela, sentait bien que personne ne le croyait. Et il se mit à douter à nouveau de ses propres désirs. Ce ne fut que bien des années plus tard qu’il retrouva la liberté de les entendre, de les accepter en lui.
     


    Cependant, un jour, un homme décida de mettre le Magicien des Peurs en difficulté.

    Oui, il voulait le mettre en échec. Il fit le voyage, vint à lui avec une peur qu’il énonça ainsi : 

    – J’ai peur de mes désirs
     
    Le Magicien des Peurs lui demanda :

     – Peux-tu me dire le désir le plus terrifiant qu’il y a en toi ?
     
    - J’ai le désir de ne jamais mourir, murmura l’homme.
     
    - En effet, c’est un désir terrible et fantastique que tu as là
     
    Puis, après un temps de silence, le Magicien des Peurs suggéra :

    – Et quelle est la peur qu’il y a en toi, derrière ce désir ? Car derrière chaque désir, il y a aussi une peur qui s’abrite et parfois même plusieurs peurs. »
     
    L ‘homme dit d’un seul trait : 

    J’ai peur de ne pas avoir le temps de vivre toute ma vie.
     
    - Et quel est le désir de cette peur ?
     
    - Je voudrais vivre chaque instant de ma vie, de la façon la plus intense, la plus vivante, la plus joyeuse, sans rien gaspiller.
     
    - Voilà donc ton désir le plus redoutable », murmura le Magicien des Peurs. « Écoute moi bien. Prends soin de ce désir, c’est un désir précieux, unique. Vivre chaque instant de sa vie de la façon la plus intense, la plus vivante, la plus joyeuse…, sans rien gaspiller, c’est un très beau désir.
     
    Si tu respectes ce désir, si tu lui fais une place réelle en toi, tu ne craindras plus de mourir. Vas, tu peux rentrer chez toi.  »
     
    Mais vous qui me lisez, qui m’écoutez, peut-être, vous allez tout de suite me dire :

    « Alors chacun d’entre nous peut devenir un magicien des peurs »
     
    Bien sûr, c’est possible, si chacun s’emploie à découvrir le désir qu’il y a en lui, sous chacune de ses peurs ! Oui, chacun de nous peut oser découvrir, dire ou proposer ses désirs, à la seule condition d’accepter que tous les désirs ne soient pas comblés. Chacun doit apprendre la différence entre un désir et sa réalisation…
     
    « Alors, tous les désirs ne peuvent se réaliser, même si on le désire ? »
     
    « Non, seulement certains. Et nul ne sait à l’avance lequel de ses désir sera seulement entendu, lequel sera comblé, lequel sera rejeté, lequel sera agrandi jusqu’aux étoiles !
     
    C’est cela, le grand secret de la vie. D’être imprévisible, jamais asservie et en même temps, immensément généreuse face aux désirs des humains. »
     
    Des rumeurs disent que le Magicien des Peurs pourrait passer dans notre pays… 
     

     


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