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    L'univers paradoxal de l'enfant

      

    Mythes et symboles

     

    L'écrivain a bâti ici une oeuvre d'une grande poésie, laquelle, réunie à son caractère philosophique, fait du Petit Prince un livre remarquable. Sa vision est celle d'un univers magique où tout (fleurs, plantes, animaux) a une âme, à l'image de la philosophie de Bouddha ou de saint François d'Assise. La poésie est aussi la beauté, et celle-ci est partout présente. C'est d'abord celle du petit prince qui, avec ses cheveux d'or, a un grand charme. Tout est beau, y compris les serpents.

    Apparaît aussi le sens du symbolique, la manière la plus simple de s'exprimer pour Saint-Exupéry, dont l'oeuvre repose sur un grand nombre de symboles. Par son caractère unificateur et totalisant, le symbole frappe naturellement les esprits. Le Petit Prince parle ainsi des baobabs qui menacent sa planète, et contre lesquels il faut lutter quand ils sont petits. Le sens est évident ; nous avons tous nos défauts et il faut les combattre non quand ils sont devenus invétérés, mais tant qu'ils sont insignifiants.


     
    Les valeurs de l'enfance

     

    Dans son Petit Prince, Saint-Exupéry rappelle les valeurs de l'enfance.

    La première est la curiosité. L'enfant intelligent est celui qui questionne. La curiosité est la racine de l'esprit philosophique, soit de l'esprit d'étonnement, incarné par ce petit prince qui a la faculté de poser tant de questions.

    Une autre valeur est l'imagination, laquelle double le réel d'un monde fabuleux. Elle se confirme lorsque le petit prince demande à l'aviateur de lui dessiner un mouton. Comme il n'est jamais content de ses croquis, l'aviateur, agacé, finit par dessiner une boîte censée renfermer l'animal. Le petit prince est ravi car on a laissé son imagination se développer.

    Et puis, il y a le don du coeur. Le petit prince a peur de faire de la peine à l'aviateur ; il n'aime pas qu'on ait du chagrin. Certes, le petit bonhomme a aussi des défauts du coeur, notamment la colère, mais s'il était parfait, il nous toucherait sans doute moins.


    L'imagination et le coeur créent les mystérieuses tristesses de l'enfant, lequel est heurté plus souvent qu'on ne le pense, soit parce que l'on a manqué de délicatesse envers lui, soit du fait de son imagination. Une simple rêverie peut lui faire de la peine. A contrario, lorsqu'il est triste, la beauté d'un coucher de soleil suffit à le consoler.

     

    Les valeurs authentiques de l'enfance s'opposent, dans l'oeuvre de Saint- Exupéry, aux fausses valeurs de l'adulte, l'enfant jugeant durement ce dernier. Ainsi, chaque planète visitée par le petit prince est habitée par un personnage particulier, représentatif d'un travers de l'âme humaine :

    La première planète est occupée par un roi, le symbole du pouvoir auquel on sacrifie tout.
    La deuxième, par un vaniteux, image de l'orgueil futile, du désir de paraître.
    La troisième planète est habitée par un ivrogne, personnification de toutes les drogues, sous toutes leurs formes.
    La quatrième, par un businessman, un être avide et avare qui veut mettre les étoiles à la banque. Le petit prince lui fait comprendre que sa possession est illusoire, car pour posséder une chose il faut s'en servir.
    La cinquième planète est occupée par un géographe, attaché simplement au savoir mais qu'il défigure par l'abstraction : un intellectuel qui refuse de relever les roses sur son livre, car trop éphémères.
    La dernière planète est habitée par un allumeur de réverbère. A l'inverse des précédents, cet adulte échappe à la critique de Saint-Exupéry : il pense à autre chose qu'à lui-même et son travail a un sens.

    Cette critique adressée par l'auteur au monde adulte apparaît récurrente tout au long de son oeuvre. Ainsi évoque-t-il, au début de son récit, un savant turc qui a découvert l'astéroïde du petit prince. Or personne ne l'a écouté car il était habillé en Turc, une anecdote qui n'est pas sans rappeler les Lettres persanes de Montesquieu, lesquelles présentent un Persan que personne ne prend au sérieux à Paris car il est habillé en Persan. Saint-Exupéry critique là le monde des apparences - les adultes qui jugent leurs semblables sur la mise et sur la mine - ainsi que celui des chiffres - dans lequel les gens n'apprécient les choses que parce qu'elles sont chères. « Ce n'est pas un homme, c'est un champignon ! », dit le petit prince à propos d'un adulte uniquement intéressé par ses additions.


     
    Les valeurs des adultes

     

    Si le petit prince juge durement les grandes personnes, il n'en a pas moins un défaut : il le fait subjectivement, sans sortir de son point de vue personnel. La fleur rencontrée dans le désert représente ce problème : elle affirme qu'il n'existe que six ou sept hommes sur la terre (les nomades qu'elle a entrevus) et qu'ils sont sans racines.


    En face de ce travers, se présentent les principes que les adultes cherchent à inculquer aux enfants.

    Tout d'abord, reconnaître la valeur de la tradition et du passé. Ce sont les générations passées qui ont permis à notre monde d'être ce qu'il est. Et si aujourd'hui nous trouvons tant d'angoisses dans celui-ci, c'est parce qu'il va trop vite. Aussi est-il nécessaire de donner à l'enfant les valeurs traditionnelles qui le sécuriseront. Tel est le point de vue du renard.
    Il explique au petit prince qu'il devra chaque jour revenir à la même heure. « Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux (...) Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le coeur... Il faut des rites. » Ces derniers permettent de se sentir en sécurité.

    Ensuite, il est important de retrouver le sens du travail. Tout se paye et l'on ne jouit que de ce que l'on a obtenu par un effort. Saint-Exupéry a bien exprimé cette idée avec le mythe du puits : on n'apprécie l'eau que parce qu'on a fait l'effort de marcher vers elle, ce qui nous donne alors la joie. Cependant le travail n'est sain qu'à la condition de laisser à l'homme le loisir de respirer.

    Enfin, les valeurs les plus essentielles que l'on doit apporter au petit prince relèvent des relations humaines.

    Toute l'oeuvre de Saint-Exupéry est une invitation à mieux connaître et comprendre la nature de l'autre. Une leçon qui commence par soi-même.

    Le roi dit au petit prince : « Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te juger, c'est que tu es un véritable sage. »


     
    L'amitié...

     

    Le petit prince s'initie aussi à l'amitié et à l'amour. Il est aisé de trouver de la complicité ou de l'intérêt, mais l'on rencontre rarement l'amitié, cet « art de créer des liens ». Quand l'ami a été trouvé, il devient un être unique.


     Mais l'amitié n'est pas gratuite et demande temps et patience, raison pour laquelle le renard demande au petit prince de revenir souvent. « Si tu veux un ami, apprivoise-moi », lui dit-il.
    Le petit prince devra d'abord se tenir loin du renard, puis, le lendemain, il s'approchera plus près et le surlendemain encore plus près. Dans cette entreprise, le silence est nécessaire.


    Et le prix à payer, est la souffrance : avoir des amis, c'est souffrir avec eux, pour eux et par eux. On comprend alors la beauté du monde.

    Le renard dit au petit prince que quand celui-ci partira, il pleurera, mais qu'il aura pour réconfort les blés mûrs qui lui rappelleront la couleur de ses cheveux. De la même manière, l'aviateur se lamente parce que l'enfant s'en va, mais celui-ci lui dit que les étoiles lui rappelleront leur amitié.



    ...et l'amour

     

    A côté de l'amitié se trouve l'amour, celui que découvre le petit prince par l'intermédiaire de la rose. Leur rapport prend là un caractère complexe. La rose est orgueilleuse et ne veut pas montrer qu'elle souffre. Le petit prince lui pardonne ses pauvres ruses, car elle est fragile.
     
    L'amour ne consiste pas à recevoir mais à donner. Ainsi le renard lui dit : « C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. » Les cinq mille roses rencontrées par le petit prince sur la terre n'ont aucune importance pour lui. « On ne peut pas mourir pour vous », leur dit-il. Il en va autrement de sa rose, envers qui il se sent responsable.

    Ces grandes leçons que l'homme doit donner à l'enfant sont les grandes valeurs de la philosophie, celles qui permettent de mieux vivre et ensuite d'aller courageusement à la mort. Le petit prince appréhende la fin, représentée par un serpent. Il a peur, il en est conscient, mais il domine sa peur.


     
    Renouveau

     

    Saint-Exupéry a fait du serpent un symbole du renouveau. Dans son récit, l'animal ne représente pas le mal mais la puissance, celle qu'il exprime quand il dit au petit prince : « Je puis t'emporter plus loin qu'un navire. » Une manière de montrer la mort comme une amie.

    Le serpent apporte aussi l'espérance, celle que la mort n'est pas une fin. Celle du petit prince est une grande leçon d'espoir : ce qu'il n'a pu trouver sur Terre, il le trouvera peut-être au-delà, ainsi que le lui fait entendre le serpent quand il dit : « Je résous toutes les questions. »
    Ce n'est cependant qu'une espérance, non une certitude, et pour cette raison l'aviateur médite.

    Le Petit Prince incite à s'interroger sur la nature réelle de l'âme humaine.

    On est parvenu à assumer celle-ci si l'on a su garder notre âme d'enfant.

     

    Didier Lafargue

     


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  • Le petit prince et la vie de St Exupery


     
    Antoine de Saint-Exupéry s’installe à New-York en janvier 1941.  Démobilisé de l’armée (il est opposé et scandalisé par la reddition de la France face à Hitler), il n’a d’autre choix que de s’exiler.  Ayant gagné le National Book award en 1939 pour Terre des Hommes, il est accueilli comme une star, mais Saint-Exupéry se sent perdu, sans boussole.  Il s’est séparé de sa femme avec qui il est en brouille. 


    Loin de sa femme, Consuelo, il la supplie de venir le rejoindre, mais Saint-Exupéry a du mal à concilier sa vie d’artiste bohème avec ses amantes et son désir d’une vie conjugale avec sa femme.   Le torchon brûle entre les deux époux et Consuelo est forcée de vivre dans un hôtel dès son arrivée à New York.
     
    Antoine reste très préoccupé par la situation dans son pays.  Il se tient beaucoup au Café Arnold, un lieu de prédilection pour lui, où se retrouve la communauté française vivant à New-York.  Antoine amuse la galerie et est très gai, mais parfois peut devenir silencieux et mélancolique.  Il fait souvent des dessins, dont celui d’un petit garçon qui se peaufine de plus en plus.   En voyant ces dessins, son éditeur américain, Eugene Reynal, lui propose d’écrire un conte pour enfants.  Saint-Exupéry est enchanté par l’idée et s’attelle à l’écriture du Petit Prince.

    L’auteur décide, en écrivant, de réaliser les dessins et s’achète une boîte d’aquarelle.
     
    « La violence du nazisme, les nations déchirées par les guerres civiles, dont celles d’Espagne qu’il a couvert et celle qui divisait présentement les Français, le persuadaient que c’était du côté de l’enfance, des vertus simples de la famille et de la terre que pouvait être l’espérance et que se trouvait le salut.»   
     
    Parallèlement, Antoine de Saint-Exupéry écrit depuis quelques années Citadelle qui est son grand projet d’écriture, le grand projet de sa vie, où il tente de faire une synthèse de ses pensées, de sa philosophie.  Le petit Prince et Citadelle sont en ce sens inséparables.  Le conte pour enfants est une sorte de résumé poétique et naïf de Citadelle.

    L’inspiration pour le personnage de la Rose n’est nul autre que Consuelo, la femme de Saint-Exupéry.  Au cours de l’écriture du Petit Prince d’ailleurs, Consuelo se rapproche d’Antoine qui consent à la laisser vivre dans le même immeuble que lui, mais pas dans la même chambre encore.   Consuelo est enchantée par le conte de son mari et s’entiche du Petit Prince.  Les deux mariés se retrouvent peu à peu et décident de s’installer à Northpoint, dans une maison de campagne.  Antoine appelle cette maison la maison du petit prince.  C’est une nouvelle étape dans la vie du couple, une renaissance qui est liée au désir de Saint-Exupéry de vivre de pureté, de fidélité et de responsabilité, comme son jeune héros.
     
    Il y a un lien entre l’auteur et son héros.  Tout comme le petit prince, Saint-Exupéry  est un être déraciné qui visite un autre monde (New York) mais qui va finalement revenir sur son astéroïde (la France) pour cultiver sa rose (sa femme).
     
    Les cheveux ébouriffés du Petit Prince ainsi que son foulard sont inspirés d’une photo de Consuelo.  Sa femme se serait d’ailleurs tout de suite reconnue dès qu’elle a vu le dessin.   Le petit prince serait un peu comme l’enfant que lui et Consuelo n’auront jamais eu.
     
    Un désir pourtant le ronge, celui de rejoindre et défendre sa patrie contre l’envahisseur.  Il veut faire la guerre car cette guerre est nécessaire pour tout homme désirant vivre dans un monde libre et juste.  Malgré sa vie confortable avec sa femme et ses nombreux amis en Amérique, Saint-Exupéry veut partir et agir.
     
    Il quitte les États-Unis le 20 avril 1943, deux semaines exactement après la parution de The Little Prince, pour rejoindre et défendre sa patrie.
     
    1944 : Saint-Exupéry disparaît mystérieusement lors d’un vol de reconnaissance. 

    La disparition mystérieuse d’Antoine de Saint-Exupéry ressemble étrangement à la mort onirique du petit prince, son jeune héros mordu par le serpent.

    Alain Vircondelet


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